Au début des années soixante, en arrivant en RDA, je refusais évidemment de comprendre les objectifs et les méthodes de la RAF [Fraction armée rouge] ; Certes, j'étais impressionné par l'énergie, le refus total de compromis et le courage extrême des terroristes. Pourtant, je ne pouvais pas tenir rigueur à l'État de sa dureté ; les États sont ainsi, et j'en avais connu d'autres plus impitoyables encore.
Il est possible que ces tableaux suscitent des interrogations sur le message politique ou la vérité historique. Ces deux points de vue ne m'intéressent pas. Et bien que ma motivation soit probablement sans importance pour le résultat, j'essaye ici de la définir comme étant l'articulation verbale et parallèle d'une opinion et d'une consternation.
L'actualité politique de « 18 Oktober 1977 » ne m'intéresse quasiment pas. Dans tous les entretiens, c'est la première et la seule chose qui captive, et, selon la gravité de la situation politique, on interprète ces tableaux d'une manière ou d'une autre. Je ressens cela comme très facheux.
Je voulais dire autre chose : ces tableaux sont également un adieu, dans plusieurs sens. D'après les faits : des personnes définies sont mortes ; au sens général : la mort est purement et simplement un adieu. Et enfin, au sens idéologique : adieu à une certaine doctrine du salut et par là même, séparation d'une illusion, celle de pouvoir transformer des conditions de vie inacceptables en ayant recours au combat conventionnel ( ce type de pensée et d'action révolutionnaire, est vain, dépassé ).
En outre, ce travail a bien sûr, pour moi aussi, un caractère de séparation radicale. Il met un terme à ce que j'ai entrepris pendant les années soixante (peinture d'après photo noir et blanc) sous forme d'un résumé condensé ne permettant aucun prolongement. C'est donc la séparation radicale d'une pensée et d'un ressentir. Il ne s'agit évidemment pas d'un acte conscient, mais d'un processus d'éffondrement et de reconstitution qui se déroule presque automatiquement et que l'on ne perçoit qu'ultérieurement.
Pourquoi avez-vous décidé de représenter la Bande à Baader ?
Il n’y a pas eu d’événement spécial qui m’ait décidé. J’avais réuni quelques photos et j’avais cette idée en tête depuis longtemps. Elle allait en grandissant. Finalement, je me suis dis « je dois peindre ça ». Je viens d’Allemagne de l’Est et je ne suis pas marxiste. Donc, bien évidemment, à l’époque je n’avais aucune sympathie pour les idées ou l’idéologie symbolisées par ces gens. Je ne pouvais pas comprendre mais j’étais malgré tout troublé. Comme tout le monde, j’étais touché. Ce fut un moment singulier pour l’Allemagne.
Dans vos tableaux, il y a de la pitié pour les membres de la Bande à Baader.
Il y a de la peine mais j’espère que l’on peut voir que c’est de la peine pour les gens qui sont morts si jeunes et si fous, pour rien. J’ai du respect pour eux, mais également pour leurs ambitions ou pour le pouvoir de leurs ambitions. Parce qu’ils ont essayé de changer les choses stupides du monde.
En vérité, je n'ai réalisé que celles qu'on « ne pouvait pas peindre ». Les morts. Au début, je cherchais plutôt à raviver l'ensemble du problème, la réalité de cette époque. Donc, en abordant ce sujet, j'avais tendance à penser en grand, à un travail qui engloberait l'ensemble du contexte. Puis les choses ont évolué dans un autre sens, vers la mort, un sujet qui n'est pas incompatible avec la peinture, au contraire, puisque la mort et la souffrance ont toujours été un grand thème en art. De toute façon, c'est le thème central, nous en avons seulement perdu l'habitude... avec notre gentille petite vie.
Donc, à vos yeux, les membres de la RAF (Bande à Baader) seraient des victimes de leur idéologie ?
Oui, certainement. Et pas uniquement victimes d’une idéologie définie, de gauche ou de droite, mais d'un comportement idéologique en général. Ceci s'inscrit plutôt dans un dilemme permanent chez l'homme, en somme : faire la révolution et échouer.
Celles-ci étaient des photos de presse.
Oui, elles provenaient des magazines Stern et Spiegel et de livres. Vous savez, j’avais en fait prévu de donner plus d’ampleur à tout cela. Puis, je me surpris à m’en tenir à la mort, à l’instant final. Je m’apprêtais à attaquer le sujet d’une façon beaucoup plus globale. Je m’apprêtais à peindre des aspects de leurs vies, durant la période où ils étaient actifs mais cela n’a pas marché ; j’ai donc renoncé à peindre cela.
Comment voyez-vous l’intérêt particulier porté par les Américains à la Bande à Baader, et à ce qui s’en rapproche et, plus généralement, comment considérez-vous l’efficacité de l’Art politisé dans l’Amérique conservatrice ?
Peut-être les américains, en raison de la distance qui les sépare de la RAF, verront-ils davantage l'universalité du thème, lequel concerne presque tous les pays, qu'ils soient modernes ou non: le danger planétaire de la foi en une idéologie, du fanatisme et de la folie. Cela s’applique à n’importe quel pays y compris les Etats Unis que vous considérez comme conservateur. Je peux voir aussi un autre lien, plus direct, entre l’Amérique et la RAF, et je ne pense pas seulement à la guerre du Vietnam contre laquelle Baader et Ensslin avaient protesté en 1968 en déposant plusieurs engins incendiaires dans deux grands magasins de Francfort. Je vois également un lien dans le fait que les comportements et styles de vie du mouvement de 1968 furent fortement influencés par des idéaux américains. Même le mouvement anti-américain inhérent ne fut pas seulement une réaction contre l’hégémonie américaine mais fut largement importé d’Amérique.
La raison pour laquelle ces tableaux ont été affectés à New-York ne réside pas dans le fait que je suis déçu du manque d’intérêt allemand, mais parce que le MoMA me l’a demandé et que je considère que c’est le meilleur musée au monde.
Pouvez-vous ajouter quelque chose sur la façon dont vous avez procédé pour choisir les photos et comment s'est construite cette superposition, cette juxtaposition des époques ?
Je me souviens encore m'être dit qu'il fallait absolument éviter toutes ces photos à sensation, la pendue, le tué par balles, etc. J'ai rassemblé une très grande quantité de matériel, dont nombre de photos banales, insignifiantes et c'est ainsi qu'au fil du temps je suis parvenu précisément aux images que je voulais en fait éviter, celles qui résumaient les histoires très variées.
Pouvez-vous encore dire ce qui vous a donné précisément en 1988 le courage de réaliser ce cycle ?
Il a vraisemblablement fallu une grande accumulation de choses au fil des années, greffées sur les expériences générales et personnelles, pour que naisse une telle idée et que la décision de lui donner forme soit prise.
Et en ce qui concerne la RAF même ?
Elle me faisait peur et j'étais rempli d'étonnement à voir un incroyable aveuglement dévoiler le côté le plus mauvais et le plus cruel que nous ayons en nous. Mais le plus effrayant, c'étaient les sympathies que ces possédés suscitaient. Ainsi sommes-nous faits.